Traduit de l’anglais par Curtis E. Hinkle
(Présenté aux 1ères Universités d’été des Intersexes et Intergenres d’Europe – Paris le 18/08/2006)
Je voudrais remercier les organisateurs et organisatrices de cette conférence, et l’OII France et l’OII Belgique, de m’avoir invitée à parler. J’avais seulement l’intention de venir pour montrer ma solidarité avec mes camarades ici à Paris aujourd’hui, et je vous demande pardon mais j’ai dû écrire cet essai en toute vitesse et aussi je ne parle pas français.
Mon sujet est très simple : on peut définir les termes mais pas les personnes. Tout au long de ma vie de chercheure, j’ai été frappée par le fait que le même terme peut être libérateur pour les uns et humiliant et blessant pour les autres. Oser parler des mots intersexe, transsexuel, transgenre et intergenre dans la même phrase est souvent considéré comme hérétique. Cependant, les personnes sont toutes différentes et ont des corps différents, et leur vécu est souvent unique et les catégories fixes qui ont été établies au 19ème siècle ne peuvent pas les inclure.
Bien que je ne parle pas français, j’ai été très inspirée personnellement dans mon propre travail par des traductions de certains des plus grands penseurs de la France. En fait, et cela peut paraître évident pour presque tout le monde qui travaille dans le même domaine, c’était Michel Foucault qui m’a inspiré à retourner à mes livres, stylos, et mon clavier et qui a ranimé mon amour pour la philosophie. Dans mes recherches, j’ai dû parcourir les écrits des premiers penseurs qui ont défini la sexualité et la non-conformité de genre au 19ème siècle et au début du vingtième siècle ; et en passant par Descartes et les empiristes britanniques j’ai trouvé que leur philosophie sur cet aspect de l’humanité qui est pourtant si fondamental était superficielle. Cependant, ces années d’exil dans un désert intellectuel foisonnant d’idées arides et superficielles, m’ont poussé à relire Sartre, de Beauvoir, et Merleau-Ponty, et d’autres phénoménologistes du continent, et j’ai trouvé quelque chose de très libérateur que je n’avais pas apprécié avant.
On peut essayer de définir nos identités sexuelles et de genre d’une manière essentialiste basée sur la biologie et la psychologie. Néanmoins, toutes ces définitions restent incompréhensibles et floues. C’est pareil avec la conscience. On peut étudier le cerveau et ses fonctions, en faire une description neurologique mais on n’arrive pas à expliquer ce que c’est qu’une vie consciente (McCulloch, 1994). Pour comprendre les personnes et leur existence dans le monde, Sartre a compris que ce n’est pas du tout pareil aux études objectives de la nature. De la même manière, les études empiriques ne nous aident pas à comprendre le vécu des personnes quant à leur identité de genre. Le vécu des personnes intersexuées est seulement abordable et compréhensible vu sous l’angle existentialiste et phénoménologique plutôt que médical et scientifique.
Le grain de vérité que j’ai découvert, c’est que notre façon d’être dans nos corps et notre esprit, enfin l’essence de notre vécu, de notre réalité corporelle et spirituelle ne peut pas être réduite et définie par une liste de catégories arides du milieu universitaire. Nous sommes dans un corps de chair vivante. Nous devenons ce que d’autres voient quand ils fixent leur regard sur nous. La médecine aussi s’est dotée du rôle du responsable des catégories. Elle nous classifie, définit, dissèque et nous décrit – et en même temps elle nous démonte comme une machine et nous réduit au néant. Nous avons été définis comme quelque chose de bizarre ou « autre », quelque chose qu’on doit modifier et corriger au nom de la conformité. Cependant, toute cette approche qui établit et définit des limites et qui nous classe dans ces catégories nous dépouille de notre humanité – elle nous déshumanise, et elle part du principe que nous sommes des êtres défectueux, déformés et mauvais.
Pourtant, nous existons, et notre existence défie les limites rigides que les professionnels cherchent à nous imposer par leurs définitions arbitraires basées sur des configurations binaires du sexe, genre et de la sexualité. S’accrocher à ces idées reçues faites sur mesure comme chez MacDonald’s ne nous offre aucun espoir, parce que notre existence même en tant que personnes qui n’ont pas développé de façon « appropriée », dénonce ces définitions et prouve qu’elles sont mensongères. C’est une connivence entre experts et une conspiration qui nous prive de vivre en tant que personnes à part entière dans la société si nous ne nous y conformons.
Ces définitions ne nous ont pas été utiles – elles répondent aux besoins de ceux qui les créent, et pour nous libérer, il faut rejeter ces définitions qui nous sont imposées par d’autres. Les professionnels ont cherché à nous définir par les termes tels que – transsexuel, intersexué, hermaphrodite, et maintenant comme personnes soufrant d’un trouble de développement sexuel. Notre soumission à ces catégories et définitions, c’est-à-dire notre volonté à accepter ces termes, fait en sorte que nous soyons en collusion avec le processus de l’oppression qui nous a fait tant de tort dans le passé. Il est question de notre essence dans tout cela – nous sommes des êtres humains et c’est en tant qu’êtres humains qu’on devrait nous définir.
Ce processus de définir des personnes devient un outil, un moyen d’évaluation, de jugements de valeur, un moyen de manipulation et de contrainte. Les experts se servent de ces définitions pour nous évaluer, pour voir à quel point nous nous y conformons; ils nous font passer des tests afin de juger à quel point nous sommes conformes aux catégories de personnes qui sont acceptables selon leurs critères. Mais ils n’ont pas écouté les personnes en question. Ils n’ont pas permis à ces personnes de donner leur propre description de leur vécu et ne leur ont pas demandé ce qui leur semble le mieux pour eux. C’est parce que les experts sont experts, et nous avons été considérés comme inférieurs, pas capable de savoir ce qui nous convient le mieux. L’évidence est tout à fait claire – on a attribué un sexe à des enfants et les ont traité de façon que les experts trouvent acceptables mais sans demander aux personnes concernées ce qu’elles auraient préféré. En tant qu’adultes, nous avons peu d’options, nos choix sont limités et les moyens d’atteindre ces mêmes options sont aussi très limités.
Dans les deux cas, l’individu est obligé de se conformer aux attentes de la société pour devenir ce qui est acceptable dans cette société et pas ce qu’il est en réalité. Les définitions qui nous affectent sont des définitions sociales, basées sur ce qu’on espère voir dans cette société et non pas sur les individus qui la composent en réalité. Une fois qu’on a des définitions pour les personnes, les individus doivent s’y conformer et leurs propres intérêts deviennent secondaires pour le bien de la société en général. Ainsi, tout ce processus qui définit les personnes et les place dans une catégorie sexuelle ou de genre est une question de contrôle social, un moyen de maintenir des limites rigides entres personnes de chaque catégories.
Pour cette raison, j’hésite de plus en plus avant de dire que « je suis un homme » ou « je suis une femme » ou que « j’étais un homme » ou « j’étais une femme », tout comme j’hésite de dire aujourd’hui « je suis intersexué-e » ou « je suis transsexuel-le » ou « je suis transgenre » or « je suis intergenre », ou « je suis gai » ou « je suis lesbienne », ou « je ne suis pas gai » – parce que ces termes ne définissent pas qui je suis. C’est une façon de me forcer dans une catégorie afin que d’autres prennent le contrôle sur ma vie. Ce contrôle est si important que tout le pourvoir de l’état et du gouvernement et de la médecine se sont embarqués dans un effort d’imposer une telle conformité.
Références:
de Beauvoir, S. (1949/1997) The Second Sex, Random House, London, Sydney.
Descartes, R. (1673/1974) In The Rationalists.
McCulloch, G. (1994) Using Sartre, Routledge, London, New York.
Merleau-Ponty, M. (1962) Phenomonology of Perception, Routledge, London, New York.
Sartre, J.-P. (1958) Being and Nothingness, Routledge, London, New York.
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